Fleur de larmes
Chez le fleuriste, Bruno hésite entre un bouquet de roses et une plante verte.
C’est la fête des mères et il aimerait tant offrir des fleurs à sa maman. Hélas, il n’est pas bien riche. Depuis plusieurs années, sa maman ne quitte guère sa chambre; une maladie incurable l’oblige à rester au lit.
– Je n’ai que dix francs ! Dit-il au fleuriste. Que me proposez-vous pour cette somme ?
Le fleuriste n’était pas homme à s’émouvoir.
-Tiens ! Pensa-t-il, encore un misérable qui me fait le coup de la pitié. Ensuite il ira vendre une rose pour le double de son prix au coin de la rue. Mais cela ne prend plus avec moi.
On ne pouvait pas le blâmer, plus d’une fois il s’est fait piéger. Ce quartier est plutôt mal fréquenté.
-Regarde la, il y a un cactus ! Cela fera ton affaire ! Dit-il à Bruno
-Pouvez-vous le mettre dans un joli papier, s’il vous plaît ? Insista Bruno
-Et quoi encore ! s’indigna le fleuriste, tu ne voudrais pas un ruban multicolore ? Pour dix francs, il n’y a que ce cactus ! File maintenant car j’ai d’autres clients qui attendent !
Bruno ravala ses larmes et rentra tristement chez lui. Quelle drôle d’idée d’offrir un cactus tout sec pour la fête des mères ! Cette petite boule épineuse et ridicule plaira-t-elle à maman ? Il arriva enfin dans son appartement insalubre et bruyant.
-C’est toi Bruno ? Cria sa maman, viens vite mon chéri, raconte-moi ta journée ? Je m’ennuie toute seule dans cette chambre ! Tu es mon rayon de soleil !
Le père de Bruno avait quitté cette région, un soir d’hiver et n’était jamais revenu.
-Bonne fête maman ! Je suis désolé de n’avoir à t’offrir qu’un simple cactus! Mais je te promets, lorsque je serai grand et que je travaillerais, je te payerais le plus grand chirurgien du monde, pour que tu guérisses. Nous quitterons cette ville et nous vivrons dans une magnifique maison. Tu auras le plus merveilleux jardin de la planète et les fleurs recouvriront toute la terrasse. Ce sera l’été tous les jours et nous serons heureux !
Marie pleurait à chaudes larmes en entendant ces jolies choses dites par son fils.
-Comme tu es mignon mon chéri ! Ce modeste cactus me fait un plaisir immense. Il représente l’amour qui déborde de ton cœur ! Tu es le plus trésor qui existe sur cette terre et c’est toi ma maison, mon jardin, mes fleurs, mon bonheur.
Marie pleurait de plus bel en serrant fébrilement le cactus. Il était doux comme du duvet, les épines ne la piquèrent même pas. Les larmes qui glissaient sur ses joues, inondèrent entièrement le cactus. Soudain un rayon de soleil illumina la chambre.
-Oh ! s’exclama Bruno. Regarde maman, un arc-en-ciel !
En effet, la chambre toute entière baignait dans une atmosphère féerique. Sur les draps blancs une palette de couleurs s’étalait en forme de cercle. En quelques secondes à l’endroit où Marie avait versée tant de larmes, une fleur s’ouvrit puis deux, puis trois. Enfin, une kyrielle de fleurs multicolores et soyeuses recouvraient le petit cactus.
-C’est un miracle ! Cria Bruno
-Je n’ai jamais autant reçu de fleurs de ma vie ! Dit Marie en riant
-Tu ris maman ? tu ris, c’est merveilleux ! Il y a longtemps que je ne t’avais pas vu rire.
Jusqu’au coucher du soleil, Bruno et Marie restèrent blottis l’un contre l’autre dans ce lit de fête. Ils savouraient leur bonheur.
Le lendemain matin, la fête était finie. Le cactus avait repris sa forme initiale. Il avait fleuri l’espace d’une nuit. Bruno et Marie n’avaient pas rêvé, les fleurs fanées jonchaient le plancher et Bruno les ramassa pour les conserver dans une boite.
-Crois-tu qu’il refleurira ? Demanda Bruno à sa maman
-Certainement ! Il suffit d’y croire, lui répondit-elle
Lorsque Bruno retourna à l’école, il raconta à Stéphanie la merveilleuse soirée qu’il avait passé avec sa maman.
-Maman a eu la plus belle fête des mères ! Je suis content de lui avoir offert un cactus, surtout n’en parle à personne c’est un secret !
Mais sa camarade de classe ne fut guère discrète, et lorsque Victor, un grand de CM2 entendit cette histoire, éclata de rire.
-Bruno n’est qu’un farfelu ! Il raconte cette histoire pour se rendre intéressant auprès des filles !
A la récréation il attrapa Bruno :
-Il paraît que tu as offert une fleur magique à ta mère ?
-Oui ! C’est la vérité !
-Alors dans ce cas, apporte-nous ton cactus ! Tous les copains aimeraient le voir fleurir. Si tu réussis à le faire fleurir aussi vite que tu le prétends, je te donnerais des billes, sinon tu recevras la plus magistrale correction de ta vie, toute la classe saura que tu mens.
-C’est le pari le plus stupide que j’entends ! Dit Bruno.
-Tu te dégonfles ! Tu nous as menti !
Bruno regretta amèrement d’avoir parlé à Stéphanie, je pensais que les filles savaient garder un secret, mais ce ne fut pas le cas.
-J’apporterais le cactus demain ! Promis-t-il.
En réalité, Bruno avait très peur de Victor, celui-ci devait bien avoir dans les douze ans et Bruno n’en avait à peine huit.
Au petit matin, avant le départ en classe, Bruno prit le cactus et le déposa dans son cartable. Il n’avait pas refleurit depuis le premier jour.
-Pourvu que le cactus fleurisse ! Pensa Bruno, sinon toute la classe me prendra pour un menteur.
Pendant toute la durée des cours, Bruno regardait le cactus dans le fond du cartable.
-Que regardes-tu ainsi ? Demanda la maîtresse.
Bruno sursauta, il était tellement obsédé par sa fleur, qu’il n’avait pas vu que toute la classe le regardait.
-Pouvons-nous voir ce que tu caches ? Insista la maîtresse.
-Ce n’est pas grand-chose ! Dit Bruno, juste un petit cactus !
-Silence ! Cria la maîtresse, visiblement très énervée. Puis se tournant vers Bruno : Ton cactus doit être mal à l’aise dans le cartable, pose le sur mon bureau ! Tu distrais tes petits camarades, à l’avenir n’apporte plus jamais de plantes ici !
Bruno se sentit soulagé, au moins il aura une belle excuse pour Victor. Toute la classe a vu que la maîtresse à confisqué le cactus. Mais son soulagement fut de courte durée. A la fin des cours, la maîtresse lui demanda de reprendre sa plante et de ne plus importuner les élè ves
Lorsque Bruno sortit de l’école, il eut la désagréable surprise de rencontrer Victor. J’ai appris par Stéphanie que la maîtresse a confisqué ta fleur magique ! En plus ton cactus n’a même pas fleurit, tu t’es moqué de nous ! Tu n’es qu’un menteur ! Tu es aussi laid que ton cactus !
Bruno resta pétrifié, il était blême, il avait peur. Ce grand de CM2 l’impressionnait tant !Il tremblait de la tête aux pieds. Finalement, il prit la fuite et courut le plus vite possible vers son immeuble. Mais il fut vite rattrapé par deux gamins qui le bousculèrent sauvagement et le renversèrent sur le trottoir. Victor saisit le pot de fleur et le cassa rageusement, il piétina le pauvre cactus, et jeta la terre au milieu du caniveau..
Bruno pleurait. Pourquoi avez-vous détruit mon cactus ? C’était le cadeau pour ma Maman !
Victor et ses copains riaient bêtement et retournèrent à leurs jeux stupides.
Seul, agenouillé sur ce trottoir le petit Bruno pleurait, il essayait de ramasser le peu de terre qui restait , remis la cactus dans le pot et essuya les larmes qui coulaient sur ses joues.
-Maman, cria t-il, si tu voyait dans quel état ils ont mis le cactus, ta fleur magique !!!
Bruno pleurait de plus bel, il ne pouvait plus s’arrêter de pleurer, maintenant une pluie de larmes inondait le cactus, et soudain le miracle se produit, une fleur s’ouvrit, puis deux puis trois, enfin une multitude de fleurs recouvraient le cactus.
Au même instant, un photographe qui passait dans le quartier vit ce petit garçon, agenouillé devant un pot de fleurs , et qui semblait dire à cette fleur : Fleurit, je t’en supplies, fleurit pour ma Maman .
Le photographe n’en croyais pas ses yeux, jamais dans sa vie de reporter il n’avait assisté à une scène aussi poignante, un petit garçon qui faisait fleurir un cactus avec ses larmes !!!
Il fit vite une photo puis deux , enfin toute la pellicule y passa , il se dirigea vers Bruno et lui dit :
-Je vais envoyer ces photos pour mon journal mon petit, tu verras ce seras un scoop ! Tu feras la « Une » des journaux, partout nous parlerons de toi, il n’existe nul part ailleurs des cactus qui fleurissent en les arrosant de larmes ! Je mettrais en gros titre « Fleur de Larmes ».
Bruno rentra chez lui rassuré, au moins quelqu’un savait qu’il n’avait pas menti et que son cactus fleurissait, tout comme le premier jour .
Grâce au journaliste, l’histoire de Bruno fit le tour de la ville. En peu de temps des dizaines puis des centaines de personnes vinrent se poster près de l’immeuble pour voir la « Fleur de Larmes ».
Tout alla très vite ensuite, Bruno devenu célèbre put payer un chirurgien pour sa Maman. Il lui acheta une grande maison entourée d’un immense jardin. Des fleurs par milliers envahissaient la terrasse et dans la piscine, des nénuphars tapissaient le dessus de l’eau.
Quant au petit cactus ! Il se dressait fièrement dans un joli pot en porcelaine blanche.
Lui arrive-t-il encore de fleurir ? Seul Bruno pourrait nous le dire !